20070705

la pire cour suprême, suite (ou "bong hits 4 roberts")

pour ne pas laisser l'impression que l'opinion sévère de mon billet précédent est basé sur une seule cause entendue par la cour suprême des é-u (même si elle est particulièrement éloquente, car le jugement rendu s'oppose à un siècle de jurisprudence en faveur de l'émancipation des afro-américains), je voulais expliciter quelques autres arguments majeurs qui motivent ma comparaison avec l'infâme cour du jugement "dred scott".

premièrement, un autre jugement rendu quelques jours plus tôt donne toute la mesure de l'hypocrisie de la majorité conservatrice de la cour. cette cause touchant au premier amendement de la constitution américaine a donné lieu à un jugement apparemment basé sur des opinions politiques plutôt que sur la jurisprudence.

la cause en question, morse v. frederick -- aussi communément appelée bong hits 4 jesus -- oppose un étudiant de high school agé de 18 ans, joseph frederick, à la direction de son école de juneau (alaska). en janvier 2002, l'école de frederick incite les élèves à assister au passage de la flamme olympique. à cette occasion, frederick, dans une tentative avouée d'attirer l'attention des médias, déploie une bannière proclamant "bong hits 4 jesus".

la directrice, deborah morse, saisit alors la bannière et frederick écope d'une suspension de 5 jours pour avoir violé la politique anti-drogue de l'école. une punition doublée lorsque frederick refuse de dévoiler le nom de ses complices et proclâme son droit à la liberté d'expression. après avoir épuisé les recours administratifs, frederick dépose alors une plainte civile contre morse et la commission scolaire, alléguant une violation de sa liberté d'expression protégée par le premier amendement de la constitution américaine. cette plainte est rejetée en première instance puis renversée en appel. l'argument central de la direction de l'école est qu'en cautionnant ce type d'expression par un élève, la cour envoie un message contredisant les efforts de répression des drogues illégales. une interprétation contestée par le juge kleinfeld lors de l'appel:

"the school principal and school board do not claim that the display disrupted or was expected to disrupt any classroom work. they concede that their objection to the display, and the reason why the principal ripped down the banner, was not concern that it would cause disruption but that its message would be understood as advocating or promoting illegal drug use. frederick says that the words were just nonsense meant to attract television cameras because they were funny. we nevertheless proceed on the basis that the banner expressed a positive sentiment about marijuana use, however vague and nonsensical.

thus, the question comes down to whether a school may, in the absence of concern about disruption of educational activities, punish and censor non-disruptive, off-campus speech by students during school-authorized activities because the speech promotes a social message contrary to the one favored by the school. the answer under controlling, long-existing precedent is plainly 'no.'
" (le jugement complet est disponible en format pdf)

morse et la commission scolaire pétitionnent ensuite la cour suprême, qui accepte d'entendre la cause, mais la majorité conservatrice fait face à un choix délicat. en effet, d'un côté les conservateurs veulent renverser les protections accordées à la liberté d'expression des étudiants dans les années 60 (lors des manifestations anti-guerre), mais ils veulent aussi éviter de permettre aux commissions scolaires d'interdire la "bonne" dissidence étudiante. eh oui! plusieurs associations chrétiennes de droite appuyaient le jeune frederick, de peur qu'un jugement en faveur de la commission scolaire ne permette la restriction dans les écoles de discours religieux parfois jugés "offensants" (lire "anti-homosexuel" et "anti-avortement").

l'opinion fragmentée de la majorité conservatrice reflète ces hésitations. le juge en chef roberts, auteur de l'opinion principale de la cour, tranche que l'activité était une activité officielle de l'école (alors qu'il s'agissait plutôt d'un congé accordé aux étudiants pour leur permettre d'assister à une activité publique -- de plus, frederick se tenait en bordure d'une route hors du terrain de l'école) et que la bannière fait la promotion formelle de la consommation de marijuana (alors que frederick lui-même et plusieurs autres juges s'accordent pour dire que "bong hits 4 jesus" ne veut pas vraiment dire grand chose) donc que frederick n'était pas protégé par le premier amendement. le juge thomas va plus loin, et recommande l'abolition totale des protections accordées à la liberté d'expression des étudiants. les deux autres juges de la majorité conservatrice, alito et kennedy, précisent quand à eux que ce jugement ne s'applique qu'à la promotion de drogues illégales et pas à aucune autre forme de dissention sociale ou politique (lire "anti-homosexuel" et "anti-avortement").

le juge breyer a fait bande à part, contestant que la cour ait accepté d'entendre la cause comme relevant du premier amendement et argumentant plutôt que la directrice d'école était protégée de ce type de poursuite par son statut d'employée du gouvernement (basé sur le concept de qualified immunity: selon cette interprétation, la preuve doit être faite d'une violation délibérée d'un droit constitutionnel).

les trois autres juges libéraux, quand à eux, rejettent l'interprétation selon laquelle "bong hits 4 jesus" fait la promotion de quoique ce soit et affirment plutôt que le caractère "offensant" du message est basé sur l'interprétation qu'en a fait la directrice d'école. donc, qu'il s'agit véritablement d'une restriction à la liberté d'expression de frederick, basée sur l'opinion personnelle de morse.


deuxièmement, encore plus troublant et porté à ma connaissance par un petit article de hendrik hertzberg dans the new yorker (the dark sider, édition du 9 juillet 2007), qui résume les faits d'une série d'articles du washington post sur le vice-président dick cheney, il semblerait que le vice-président lui-même a constitué la liste des candidats potentiels à la cour suprême. lorsque le président bush a tenté de s'écarter des suggestions de cheney (en tentant de nommer à la cour une alliée fidèle depuis le début de sa carrière politique au texas, harriet miers), le vice-président a monté une forte opposition conservatrice à la nomination, forçant bush à retourner à la liste précédemment établie:

"cheney [...] drew up and vetted a list of five appellate judges from which bush drew his supreme court appointments. after naming john roberts to the court and then to the chief justice's chair, the president, for once, rebelled: without getting permission from down the hall, he nominated his old retainer harriet miers for the second opening. ('didn't have the nerve to tell me himself,' cheney muttered to an associate, according to the post.) but when cheney's right-wing allies upended miers, bush obediently went back to cheney's list and picked samuel alito. the result is a court majority that, last thursday, ruled that conscious racial integration is the moral equivalent of conscious racial segregation."

comme l'affirme en éditorial le new york times d'aujourd'hui: "time and again the court has ruled, almost always 5-4, in favor of corporations and powerful interests while slamming the courthouse door on individuals and ideals that truly need the court's shelter." l'éditorial poursuit en nommant de multiples autres injustices cautionnées par la cour roberts: l'abolition de restrictions sur les publicités de groupes d'intérêts pendant les campagnes électorales, l'abolition des peines financières imposées à phillip morris, l'abolition d'une mesure vieille de 96 ans interdisant aux manufacturiers d'imposer un prix minimum de vente au détaillants, le rejet d'une mesure d'appel d'un prisonnier déposée quelques jours en retard parce qu'un juge d'une cour inférieure s'était trompé de date, etc. toutes des décisions qui vont à l'encontre de la jurisprudence établie! l'éditorial se termine avec le constat que "it has been decades since the most privileged members of society -- corporations, the wealthy, white people who want to attend school with other whites -- have had such a successful supreme court term." de plus, un autre article du new york times, "in steps big and small, supreme court moved right", paru le premier juillet dernier, démontre à quel point le bloc conservateur de la cour (roberts, scalia, alito, thomas) vote constamment selon la ligne politique républicaine, alors que les autres cinq juges basent leur dissidence ou leur appui à la majorité selon leur interprétation de la jurisprudence. ce qui, couplé avec le fait que deux nominations récentes ont été choisies spécifiquement par cheney, démontre qu'il y a une tentative délibérée de modifier profondément, et selon une ligne uniquement partisane, l'essence même de la justice au états-unis.

et pensez que cette même cour va se pencher lors de sa prochaine session sur la notion d'habeas corpus à la lumière de la "guerre au terrorisme"...!

20070704

la muse patate...

un peu de poésie à propos de minces tranches de pommes de terre frites, gracieuseté du new york times d'aujourd'hui, qui consacre un article aux joies des chips (selon l'article, le 4 juillet et le memorial day sont les deux fêtes américaines où la consommation de chips atteint des sommets):

"opening a fresh bag of chips is a deceptively simple wonder. there is such promise riding on the rush of potato-y air. the crunch of that first salty chip, crisp and unblemished by moisture and oxygen, is one of life’s most underrated great food moments."