20070828

à quand le débat sur les accomodements intellectuels?

alors que se poursuit toujours au québec le débat sur les accomodements raisonnables (débat qui entre dans une nouvelle phase avec le début des travaux de la commission de consultation sur les pratiques d'accomodement reliées au différences culturelles), j'en suis plutôt à me demander jusqu'à quand devrons-nous patienter avant que ne se tienne un débat sur les accomodements intellectuels.

je m'explique. depuis plusieurs mois au québec, la notion d'accomodement raisonnable s'est étendue, au delà de sa définition juridique d'arrangement visant à éviter l'application potentiellement discriminatoire d'une norme, jusqu'à signifier l'ensemble des accomodements (laïques, individuels, culturels) inhérents à la diversité culturelle nord-américaine. les discussions n'en sont plus aux nuances de la jurisprudence provinciale et fédérale et portent plutôt sur les désagréments identitaires provoqués par l'immigration.

pourtant le débat est, sur un point précis, très pertinent et il est déplorable de le voir déraper sur les terrains mal dégrossis du terroir. c'est qu'il est très important de débattre des limites élémentaires à imposer à la jurisprudence dans la pratique d'accomodement raisonnable. particulièrement quand à la primauté qu'accorde les tribunaux aux valeurs culturelles (incluant religieuses) de communautés spécifiques sur celles, littéralement constitutionelles (dans le sens d'un pacte social hobbsien), de la communauté dénominatrice.

en conséquence, au lieu de sourire devant la manifestation (dangereusement) naïve de philosophie populaire qui s'est déroulée dans la petite municipalité d'hérouxville, par laquelle ces élites municipales en sont venu à la conclusion que des valeurs constitutionelles (telles que l'égalité des sexes et la laïcisation des pratiques sexuelles) doivent primer sur des particularismes identitaires, on en est maintenant aux prises avec une "contre-réforme nationaliste" menée de front par la droite populiste québécoise.

dans ces circonstances, comment se surprendre des propos de l'historien gérard bouchard (co-président, avec le philosophe charles taylor, de la commission de consulation québécoise) dans le journal le devoir? dans une entrevue publiée le 17 août dernier (bouchard à court d'arguments pro-diversité) bouchard constate deux défis auquel il fait face en sa nouvelle qualité d'intellectuel "de gouvernement" (en comparaison avec son statut précédent d'intellectuel "spécifique").

le premier défi est un handicap argumentaire: "on a posé et on a postulé que la diversité était bonne et enrichissante pour le québec sur le plan culturel" dit-il, "mais on ne l'a pas démontré avec les études nécessaires." il ne bénéficie pas de données scientifiques qui pourraient consituer un plancher discursif en deça duquel les travaux de la commission peuvent refuser de s'aventurer. il reconnaît qu'en sa qualité précédente d'intellectuel "spécifique" (dans le sens foucaldien), il a faillit à sa tâche: "je n'ai jamais contribué à bâtir cet argumentaire," avoue-t-il.

ce qui nous mène au second défi, et à mon interprétation de la citation controversée de gérard bouchard. c'est que sans ce plancher discursif, la commission peut se laisser entraîner sans fin à débattre les sophismes et affirmations démagogiques des "gens qui ne sont pas des intellectuels mais qui regardent les nouvelles à [la télévision]": incapable d'imposer un niveau ou son cadre au débat -- comme toute autre commission gouvernementale servant à avaliser la construction d'une centrale thermique ou une coupe à blanc sait le faire -- la commission de consultation se voit imposer par les démagogues de tout acabit un vocabulaire tellement vague que plus rien ne portera sur la primauté de valeurs constitutionelles et tout servira de forum pour le nationalisme électoraliste de certains et la propagande des autres.

et c'est ainsi que j'en arrive à ce que je nomme les accomodements intellectuels. les accomodements intellectuels sont des arrangements visant à intégrer dans le discours rationel des éléments illogiques pour éviter la faillite du discours civil. la notion métaphysique de "dessein intelligent" en est un bon exemple. en théorie, on peut s'accomoder d'interlocuteurs qui croient au "dessein intelligent" dans une discussion rationelle sur les conséquences de la pollution dans l'environnement. cependant, cet interlocuteur peut très bien se révéler impossible à accomoder, par exemple s'il n'est non seulement anti-évolutionniste mais aussi un chrétien reconstructionniste post-millénariste. dans ce cas, comme il s'attend à voir la planète transfigurée magiquement pour un millénaire d'harmonie avant la seconde venue du christ, comment discuter rationellement avec lui des conséquences réelles de la pollution?

autrement dit, jusqu'à quel point doit-on faire des accomodements intellectuels alors que ceux-ci sapent les fondements philosophiques mêmes du discours? à observer les controverses entourant la diversité culturelle, ce débat m'apparaît vital.

cette réflexion se poursuivra dans le(s) prochain(s) billet(s) de ce blogue, alors que nous aborderons la question du multiculturalisme et aussi la place de l'intellectuel dans le discours social. rien de moins!

20070813

au revoir, "fleur d'étron"...

annoncée ce matin, la démission du stratège politique républicain karl rove (surnommé affectueusement "turd blossom" par son patron) ne me réjouit pas vraiment. en fait, ce départ larmoyant cache quelques réalités troublantes qui devraient tempérer les réjouissances démocrates.

premièrement, l'architecte des coups bas nixoniens qui ont propulsés un déserteur alcoolique à la tête de l'état texan — et, ensuite, de l'empire — échappera probablement à la justice, autant pour son implication dans l'affaire valerie plame que dans les mises à pieds politiquement motivées de procureurs américains (sans compter les multiples manipulations de coulisses qui ont rendu la guerre en irak "inévitable"). ensuite, que rove quitte ses fonctions ne changera rien aux attraits indéniables que son "style" politique a acquis chez les stratèges républicains.

on se souviendra que pour calomnier un rival de bush (john mccain, lors de la course à l'investiture républicaine en 2000), il n'avait pas hésité à lancer la rumeur qu'un des enfants du candidat était un batard mulâtre (en fait, la petite fille, adoptée, venait du bangladesh). cette insinuation d'une aventure extra-conjugale mixte racialement a suffit à couler les chances de mccain en caroline du sud...

mais c'est vraiment l'état dans lequel il laisse le système politique américain qui pose le plus problème: outre une fonction publique et un appareil judiciaire transformés par des nominations politiques funestes (très souvent pour des victoires électorales à court terme), ce sont les éléments fondamentaux du débat public qui ont été altérés par l'idéologie chrétienne factice masquant l'opportunisme crasse de cette coterie.

prenons par exemple la décision stupide du nouveau congrès démocrate de reconduire les dispositions permettant au gouvernement américain d'espionner les communications de ses citoyens sans autre contrôle que le bureau du procureur général (en l'occurence alberto gonzales, auteur de l'infâme mémo du département de la justice avalisant l'usage de la torture et maintenant empêtré dans ses mensonges au congrès à propos de l'affaire des procureurs renvoyés). il est incroyable que la peur d'être étiquetés "faibles sur la défense" (soft on defense) colle encore aux politiciens démocrates après 5 ans d'échecs républicains sur la scène internationale. il s'agit quand même de l'abolition pratique du quatrième amendement de la constitution des états-unis!

dans ces circonstances, que changera vraiment le départ de rove? même si un futur candidat démocrate gagne la présidence et son parti conserve une majorité au congrès, il sera constamment rabroué par une cour suprème hostile. ne soyons pas dupes, l'architecte de la coalition fondamentaliste qui donna au parti républicain un contrôle exceptionnel sur les politiques américaines des sept dernières années va sans doute continuer ses sales besognes, une fois de retour dans l'ombre. et dans le paysage américain, les effluves nauséabondes de "fleur d'étron" se feront encore sentir longtemps.

en lire plus:

dan froomkin, washington post
arianna huffington, huffingtonpost

mise à jour: ce matin (14 août), en éditorial, le new york times ne se gène pas: "the american public needs to understand the full story of how this white house — with mr. rove pulling many of the strings — has spent the last six and a half years improperly and dangerously politicizing the federal government. [...] congress needs to use all its power to bring mr. rove back to washington to testify — in public and under oath — about how he used his office to put politics above the interests of the american people".