20050727

le mauvais air du temps

quelques mois de silence sur ce blogue, en rupture avec le dogme de l'immédiat imposé par la formule (ma seconde rupture étant mon refus du culte de l'intimité), m'offrent l'occasion d'une brève rétrospective et peut-être aussi l'occasion de constater un léger essouflement du consensus phénoménologique imposé depuis quatre ans par le triumvirat de la droite évangélique, des néo-conservateurs et des sbires d'halliburton et du carlyle group.

certes, la vie nord-américaine sous choc post-traumatique se poursuit et la population assiste généralement dans l'indifférence au gigantesque recadrage néo-straussien de la réalité orchestré par des think-thank encore plus relativistes que les athés et les socialistes qu'ils conspuent. pourtant, peut-on encore espérer ouvrir une brêche dans leur lecture toujours plus incohérente de la réalité?

après que cette "option nucléaire" (un changement des règles du sénat américain pour empêcher la tenue d'obstructions appelées "filibuster"), brandie il y a déjà quelques mois par le sénateur frist, fut désamorcée par une énième compromission d'élus démocrates, le script du spectacle a été rapidement détourné de la polique et de la guerre vers les scandales morbides que furent, entre autres, l'agonie de schiavo et le procès jackson.

pourtant, en dépit d'une démission à la cour suprème des états-unis (et du retour potentiellement explosif de la bataille au sénat américain sur le filibuster -- que les élus démocrates "modérés" assurent ne pas vouloir utiliser jusqu'à présent face à la candidature du juge john roberts) et malgré le potentiel théorique que les récents attentats de londre offrent à leur rationalisation de la guerre, on constate que le scandale entourant la fuite de l'identité classée secrète d'une agente de la cia par deux importants conseillers de la maison blanche constitue bel et bien une rare interruption dans le faith-based continuum de cette administration républicaine -- ce que même les downing street memos ("the intelligence and facts were being fixed around the policy") n'avaient pas réussit à provoquer.

l'affaire valerie plame est très simple. en janvier 2003, dans son discours sur l'état de l'union, le président bush a mentionné une tentative d'achat d'uranium au niger par le régime de saddam hussein comme étant l'une des preuves que la dictature irakienne tentait de développer un arsenal nucléaire militaire. le 6 juillet 2003, l'ex-ambassadeur joseph wilson publie une lettre d'opinion dans le new-york times dans laquelle il résume sa mission au niger en février 2002, commandée par la cia pour vérifier spécifiquement cette rumeur d'achat d'uranium. son rapport, comme d'autres avant le sien, prouve la fausseté de ces allégations. ce n'était qu'une énième réfutation des "arguments" utilisés par la maison blanche pour justifier l'invasion de l'irak, et elle fut reçue et traitée avec le même mépris: pour se débarasser rapidement du problème wilson, l'administration orchestre la fuite de d'une information classée secrète pour tenter de miner la crédibilité de celui-ci: l'épouse de l'ex-ambassadeur est une agente de la cia et c'est elle qui a orchestré son voyage au niger (ergo, cette mission est douteuse et entachée de favoritisme). c'est l'éditorialiste de droite robert novak qui lance le bal dans son billet du 14 juillet 2003 mission to niger.

il est en quelque sorte dommage que le scandale qui éclate par la suite ait relégué au second plan le véritable motif d'indignation, c'est à dire l'ignominie que constitue cette flagrante manipulation des faits pour justifier une intervention militaire. mais, comme ce fut le cas pour le watergate, un acte commis bêtement pour des raisons politiques se métamorphose en puissant projecteur révélant les zones d'ombres d'un pouvoir aveuglé par son arrogance. le 17 juillet 2003, david corn publie un article dans the nation intitulé a white house smear, qui accuse la maison blanche d'avoir délibérément révélé l'identitée de valerie plame, trahissant ainsi la sacro-sainte "sécurité nationale", pour se venger de la sortie de joseph wilson. corn écrit: "this is not only a possible breach of national security; it is a potential violation of law. under the intelligence identities protection act of 1982, it is a crime for anyone who has access to classified information to disclose intentionally information identifying a covert agent."

depuis, à la demande de la cia, un procureur spécial a été nommé pour enquêter sur les origines de la fuite et les plus juteuses révélations ont été rendues publiques au fil de son investigation. entre autres, que plusieurs journalistes, outre novak, ont été contactés par ces "membres seniors de l'administration" (senior administration officials) et que l'une de ces sources n'est nul autre que karl rove, très proche conseiller du président depuis ses débuts en politique.

(pour approfondir le sujet, je vous recommande la rubrique plame affair, de l'encyclopédie web wikipedia, toujours aussi dévouée à la circonspection. aussi, sur le site web couterpunch, roger morris, ancient employé senior au national security council sous les administration johnson et nixon, trace une chronologie des événements qui laisse peu de doute quand la participation -- active ou passive? -- de la secrétaire d'état condi rice dans the source beyond rove: condoleezza rice at the center of the plame scandal)

au delà des débats sur les crimes réellement commis dans l'affaire plame (bien expliqués dans cet article de john dean, it appears that karl rove is in serious trouble), ce sont les mensonges éhontés et délibérés de l'administration bush qui se retrouvent ainsi sous enquête. et les répercussions de ce scandale sont d'autant plus importantes que cette administration ne cache pas -- malgré un échec complet en irak -- ses ambitions militaires pour l'iran et la syrie. après seymour hersh dans the new yorker (the coming wars, 17 janvier 2005) c'est aujourd'hui au tour de gary leupp, dans l'article is iran being set up?, de dénoncer les préparatifs pour une invasion nucléaire de l'iran par les états-unis. en effet, le commandement stratégique doit se préparer pour "a large-scale air assault employing both conventional and tactical nuclear weapons" et le bureau du vice-président cheney a demandé au pentagone de se tenir prêt à attaquer l'iran à la suite d'un "autre 11 septembre", peut importe que l'iran ou des iraniens y soient mêlés ou non. comme l'écrit leupp: "can it get madder than this? the neocons' plans for a total reorganization of the 'greater middle east' have been plain for some time now. many have been warning against the prospect of an expansion of the iraq war into syria and iran. you'd think that reality would smack these guys in the face and they'd call off anything so stupid. but they apparently think that by using conventional and nuclear weapons (first time any nation will do that since nagasaki); by employing the mujahadeen khalq; by activating agents in place to organize demonstrations (as the cia did so successfully in iraq in 1953); by attacking from azerbaijan they can actually pull this off."

ces incroyables révélations me rappelle justement une boutade de seymour hersh, qui disait regretter qu'il n'y ait pas l'équivalent d'henry kissinger dans l'administration de bush fils, soulignant ainsi que nul d'entre eux agit avec un minimum de machiavelisme rationnel mais qu'ils sont véritablement convaincus par leurs mensonges: "there's no fallback with these guys. these guys are utopians. they're like trotskyites. they believe in permanent revolution. they really believe."

en effet, credo quia absurdum.

20050308

restriction d'expression

i am often asked if i still think we should invade their countries, kill their leaders, and convert them to christianity. the answer is: now more than ever
- ann coulter

solutions are not the answer
- richard milhous nixon

pour commencer, jetez un coup d'oeil à ce qu'écrivait l'auteur américain hunter thompson en 1994 à propos du président nixon, peu de temps après le décès de celui-ci: "if the right people had been in charge of nixon's funeral, his casket would have been launched into one of those open-sewage canals that empty into the ocean just south of los angeles. he was a swine of a man and a jabbering dupe of a president. [...] let there be no mistake in the history books about that. richard nixon was an evil man - evil in a way that only those who believe in the physical reality of the devil can understand it. he was utterly without ethics or morals or any bedrock sense of decency. nobody trusted him - except maybe the stalinist chinese, and honest historians will remember him mainly as a rat who kept scrambling to get back on the ship." thompson, auteur de fear and loathing in las vegas, s'est suicidé en février dernier. nixon était en quelque sorte sa némésis et il avait, entre autres, couvert la campagne présidentielle de 1972 pour la magazine rolling stones.

pourrait-on encore aujourd'hui publier la même chose dans un média de masse? oui, mais à la condition d'être de droite. au cours des dernières semaines, plusieurs événements sont venus souligner à quel point la liberté d'expression était devenue quasi unidirectionnelle dans le contexte politique nord-américain. pour les newsaholics comme moi, c'est entendu depuis que les corporations médiatiques ont abdiqués leurs responsabilités au lendemain du 11 septembre 2001 en se faisant les porte-voix d'une vengance inutile contre les civils afghans, mais pour le grand public qui consomme essentiellement des nouvelles locales et des talk-shows raccoleurs, l'illusion d'une totale liberté d'expression perdure (et même, pour certains, l'illusion d'un "gauchisme" dans les médias de masse).

quand certains journalistes honnêtes tentent d'aborder le sujet, le choc est assez brutal. émission de la cbc consacrée aux grands reportages d'actualité, the fifth estate diffusait le 26 janvier dernier sticks and stones, un portrait des protagonistes de cette "guerre morale" que livre les thuriféraires de la droite américaine. les deux principales figures du reportage - éclipsant les autres par l'étendue incompréhensible de leur rage - sont l'animateur de télévision bill o'reilly et la columnist ann coulter. le reportage a fait jaser aux états-unis, entre autres pour l'échange entre le journaliste mckeown et coulter dans lequel elle affirme (et insiste) que le canada a participé avec les américains au conflit vietnamien (!). o'reilly, qui a refusé de participer au reportage, a riposté bien à l'aise dans son studio. les téléspectateurs de fox news ont pu apprendre que la cbc était "marxiste", que le gouvernement canadien "controlait l'information", que la chaîne fox news était "interdite au canada" et que "des millions" de canadiens devaient bravement pirater les signaux satellites pour avoir droit aux reportages "justes et équilibrés" de news corp. (pour un portrait mordant des limbaugh, o'reilly et hannity, je vous recommande cet article de wayne madsen, the fourhorsemen of propaganda, publié par counterpunch le 30 avril 2003.)

dans ce contexte, la saga ward churchill est un excellent exemple des balises sociales qui encadrent l'unidirectionalité du discours politique. churchill est professeur à l'université du colorado. peu après le 11 septembre, il a publié un petit pamphlet (some people push back, on the justice of roosting chickens) dans lequel il soulignait que le world trade center était une cible logique et que la plupart de ceux qui y travaillaient n'étaient rien de plus que des "petits eichmann", ne faisant qu'obéir aux ordres, certes, mais tout de même responsables des atrocités commises par le grand capital. ce texte est resté complètement ignoré jusqu'au jour ou churchill devait participer à une conférence au hamilton college de clinton (ny). soudainement, c'est la folie furieuse. bill o'reilly, qui brossait récemment le portrait des "professeurs anti-américains" affirme en ondes: "that man, ward churchill, is now spreading his vile opinion around the country. [...] you know what this is all about? this is about political correctness once again. that's what this is about. this guy is a native american. he feels that genocide was perpetuated on his race. and therefore, he can hate his country and say anything he wants." le gouverneur de l'état de new-york, george pataki, protestait, lui, en ces termes: "there's a difference between freedom of speech and inviting a bigoted terrorist supporter." ce à quoi churchill réplique: "i am not a 'defender' of the sept. 11 attacks, but simply pointing out that if u.s. foreign policy results in massive death and destruction abroad, we cannot feign innocence when some of that destruction is returned. the gross distortions of what i actually said can only beviewed as an attempt to distract the public from the real issues at hand and to further stifle freedom of speech and academic debate in this country." churchill fait l'objet d'une enquête en révision de la part de l'administration de l'université du colorado. pour emma perez, collègue de churchill, cela ne fait aucun doute, ce cas est le "national frontline of the neocon battle for dominance in academe" et préfigure d'autres purges du même genre dans les universités américaines.

ce cocktail déjà abject a réussit à le devenir d'avantage lorsqu'il a été révélé que plusieurs de ces éditorialistes de droite avaient été secrètement payés par l'administration bush pour mousser ses politiques à leurs auditeurs, par exemple sa réforme du système d'éducation (le "no child left behind act" - on notera au passage l'utilisation de l'expression apocalyptique left behind!)

ce qui m'embête encore plus ces temps-ci, c'est que ces restrictions multiples aux libertés individuelles (le patriot act, les croisades contre l'indécence, etc.), ne semblent pas choquer la plupart des républicains "libertariens". il s'agit réellement d'un effort en vue de l'établissement d'une double-pensée massive par un gouvernement central et rares sont ceux qui dénoncent cette hypocrisie de leur parti qui s'afffirme depuis longtemps comme pro-liberté et anti-gouvernement. une exception, paul craig roberts: on ne peut pas trouver plus républicain, il a été assistant secrétaire au trésor dans l'administration reagan en plus d'avoir été éditeur associé au wall street journal. pourtant, lui même se voit obligé d'admettre que la nature du débat a profondément changé sous le règne de bush fils. dans what became of conservatives? il s'interroge: "there was a time when i could rant about the 'liberal media' with the best of them. but in recent years i have puzzled over the precise location of the 'liberal media.' not so long ago i would have identified the liberal media as the new york times and washington post, cnn and the three tv networks, and national public radio. but both the times and the post fell for the bush administration’s lies about wmd and supported the us invasion of iraq. [...] in the ranks of the new conservatives, however, i see and experience much hate. it comes to me in violently worded, ignorant and irrational emails from self-professed conservatives who literally worship george bush. even christians have fallen into idolatry. there appears to be a large number of americans who are prepared to kill anyone for george bush." dans un article pour counterpunch how americans were seduced by war, il en rajoute: "americans have been betrayed. sooner or later americans will realize that they have been led to defeat in a pointless war by political leaders who they inattentively trusted. they have been misinformed by a sycophantic corporate media too mindful of advertising revenues to risk reporting truths branded unpatriotic by the propagandistic slogan, 'you are with us or against us.'"

je vous laisse sur une note plus légère, tirée de la série de strips humoristiques slowpoke, dessinés par jen sorensen: